Journal Le Sphinx

Notre axiome, c'est la vérité, le plus haut phare de la déontologie journalistique

COOPERATION FRANCE-AFRIQUE

Le coton d’Afrique de l’Ouest : entre la peste et Macron nouvelle version

Le 27 février le président Macron a renversé deux piliers du triptyque français dans son ex-pré carré : défense et diplomatie. L’échec de Barkhane et l’impéritie de ses diplomates le contraignaient à ce changement complet de conduite après plus d’un siècle d’embarrassantes erreurs. En même temps, il semble bien que le troisième élément qui méritait d’être sauvé et d’être adapté aux enjeux brulants, à savoir le développement, n’ait été omis, oublié, enterré…En particulier, alors que le président Macky Sall, a alerté le président russe des graves conséquences d’un arrêt de la fourniture de céréales et d’engrais à l’Afrique, Emmanuel Macron n’a pas un mot pour saluer l’initiative sénégalaise et africaine et proposer une alternative aux agriculteurs du continent. Plus spécialement touchés se trouvent les pays d’Afrique de l’Ouest où la culture du coton assure à une grande partie de la paysannerie des revenus monétaires.

Le poids des engrais russes

Le coton et sa culture offrent une manifestation criante du désintérêt français pour les difficultés économiques et sociales de l’Afrique de l’Ouest. Les pays d’Afrique de l’Ouest sont très dépendants des importations de fertilisants et de pesticides (produits antiparasitaires). La hausse des prix de l’énergie et le blocus sur les exportations des engrais russes devaient réduire les quantités physiques nécessaires à la production de coton dans cette partie du monde. En effet, PhosAgro, Uralchem et Eurochem[1], les trois groupes russes des engrais avaient réussi conjointement à faire jeu égal avec le marocain OCP sur le continent. Les marchés africains et asiatiques étaient apparus à leurs yeux comme des alternatives intéressantes après la perte du grand marché ukrainien en 2014, conséquence des sanctions commerciales décidées par Kiev à la suite de l’annexion de la Crimée par Moscou.

De plus l’indice des prix des engrais a grimpé de 100% entre le premier trimestre de 2021 et celui de 2022. L’indice est la synthèse des composants principaux utilisés qui ont doublé : phosphate, superphosphate, urée, potasse[2]. Il s’agit des prix mondiaux de marchés mais au détail, de la Tanzanie au Sénégal, on observe des augmentations malgré les subventions étatiques qui sont plus importantes, en particulier pour l’urée.

La guerre en Ukraine touche les approvisionnements africains car, avec la Russie, Kiev compte pour 37%, 17% et 14% des fournitures de potasse, de nitrate et de phosphate[3]. La Russie, encore une fois, depuis 2014, avec la fermeture du marché ukrainien a développé son implantation en Afrique.

Tous les autres engrais ammoniaqués sont produits avec du gaz. Dans le secteur cotonnier, installé à Genève, le Russe PhosAgro avait également réussi ponctuellement des incursions en Afrique de l’Ouest, gagnant des appels d’offre au Bénin et au Burkina Faso, une zone qui est habituellement la chasse- gardée de l’Office Chérifien des Phosphates[4].Mais avec l’intensification des représailles en 2023 contre la Russie, « les professionnels du secteur s’attendent à voir fondre les volumes d’engrais vendus sur le continent, pourtant déjà faibles : l’Afrique ne pèse qu’environ 3,5 % des marchés mondiaux des engrais phosphatés (DAP-MAP) et azotés (NPK, NP) et de l’urée, et 2 % de celui du chlorure de potassium (MOP). Couplée aux hausses des cours des denrées alimentaires importées comme le blé, et à celles du pétrole et du transport maritime, l’augmentation des prix des engrais va nécessairement réduire de façon drastique les commandes africaines, en particulier lorsqu’elles émanent des agences agricoles étatiques ou paraétatiques. Le Ghana pourrait voir s’effondrer sa demande en fertilisants de 80 %, la Côte d’Ivoire de 40 % et les pays cotonniers, comme le Burkina Faso et le Bénin, de 50 %[5]

Lenteurs et contradictions des institutions de développement

Bien entendu l’impact de la guerre en Ukraine sur les cultures vivrières africaines est rappelé tandis que la pénurie alimentaire qui en résulte[6]suscite des guichets spéciaux[7] du FMI dont ce n’est pas le métier. Cependant, les revenus des populations rurales dépendent, pour les pays d’Afrique de l’Ouest, de cultures de rente comme celle du coton. Rien n’a été fait pour la formation d’une production africaine d’engrais, alors que cette filière est très ancienne et motive déjà Faidherbe[8], à la conquête du Soudan des Français.

L’Union africaine a entamé, il y a peu, une réflexion[9] sur les potentialités d’une industrie de l’engrais en rappelant que le continent dispose de gaz et de phosphates en abondance. Mais les quelques expériences de production d’engrais restent marginales, à l’échelle nationale, et sans toujours la valorisation des matières premières disponibles. En 2019 le projet de production africaine d’engrais soutenu par l’UA démarre. Mais en aucun cas cela ne constitue une réponse aux besoins d’engrais de certains États membres, affrontant de plus une guerre, effacée par celle qui se déroule en Ukraine.

En attendant, les pays sous sanction de l’UEMOA comme le Mali et le Burkina attribuent davantage leurs difficultés d’accès aux engrais à la CEDEAO, plus qu’à la guerre en Ukraine.

L’ex-président de la Banque mondiale lui-même intervenait, récemment, pour invoquer les leçons du marché qui serait la réponse au déficit de fertilisants que connait l’Afrique. Il pointait le Nigéria qui a ouvert, grâce à son gaz, une unité de production d’urée. Mais, dit-il, dans le texte: “a portion is used to subsidize inefficient Nigerian buyers and a large portion is exported to Latin America, leaving farmers in Africa dependent on other markets”. Les Etats-Unis ne maintiennent pourtant leur production de coton qu’avec des subventions de l’État aux cotonculteurs de 4 milliards US$ par an, soit plus que tout ce que verse l’USAID à toute l’Afrique. Se préoccuper de l’alimentation de la population africaine est souhaitable mais il est lassant de voir les bailleurs recycler en permanence l’aide sous forme de déversements de leurs excédents de riz ou d’huile au lieu d’enclencher à coups de subventions des chaines de valeur africaines, comme celle du coton.

La misère humanitaire

Le président français s’est aussi attaqué à la problématique des engrais pour retomber dans les mêmes ornières et cantonner l’Afrique au guichet de la misère alimentaire. Ainsi le 23 septembre 2022, l’Élysée mettait en ligne le communiqué suivant : « Nous créerons un mécanisme d’urgence pour l’achat d’engrais en Afrique.Nous nous appuierons sur la plateforme africaine d’échanges en ligne ATEX, mise en place par l’Union africaine, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique et Afreximbank, pour mutualiser les demandes, réduire les prix et acheter en priorité des produits africains.Nous soutiendrons ce mécanisme sur le plan financier, en accroissant la capacité d’Afreximbank à réduire les coûts des financements pour les économies vulnérables, notamment grâce à la prise en compte des risques de change, mais aussi en fournissant des solutions logistiques à bas coût par le biais du « mécanisme de solidarité » mis en place par le Programme alimentaire mondial (PAM) dans le cadre de l’initiative FARM (mission pour la résilience alimentaire et agricole) en partenariat avec le secteur privé.Nous soutiendrons les économies les plus vulnérables en accroissant leur marge de manœuvre financière pour acheter des engrais, en nous appuyant sur notre stratégie de réallocation des droits de tirage spéciaux (DTS), ainsi que sur le nouveau guichet « choc alimentaire » en discussion au sein de l’actionnariat du FMI.»

Il y a quelques jours, un premier point sur cette initiative française au plus haut niveau, faisait apparaitre un effort dérisoire en faveur de l’Afrique de l’Ouest. En effet, les transferts financiers de Paris se sont dirigés prioritairement et massivement vers le Yémen, le Soudan et la Somalie. Le tout passant par les pesants mécanismes du système coûteux et peu transparent des Nations-Unies, dont le PAM. Pour les besoins d’engrais stricto sensu on enregistre au titre de l’opération « Sauvetage des récoltes » lancée en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2022, par le Président de la République, un soutien de 7,5 M d’euros de la France au PAM pour l’acheminement d’engrais vers l’Afrique.

La situation du coton africain réclame d’autres pistes et mérite des réponses globales et nationales soutenues par l’extérieur.

Des récoltes en trompe l’œil

Ainsi alors que le prix des engrais explose, le prix de vente du coton sur le marché mondial a baissé lors de la saison 2021-2022. La saison 2022-2023 semble peu favorable dans un climat d’inflation, de récession et de recul de la demande globale. Les exportations totales de coton ont décliné de 10%, mais celles de l’Afrique de l’Ouest sont restées stables sur la dernière saison. La tendance baissière se prolongera en 2023. La FAO, optimiste, estime cependant que la production du Cotton-4 (C4)[10] devrait se prolonger.

Le coton est déterminant dans les équilibres des pays de l’Afrique de l’Ouest car il ne relève pas de l’extractivisme comme l’or par exemple qui est exporté sans redistribution monétaire nationale et locale. Au Bénin, le coton procure 60% des revenus d’exportation, 50% au Burkina et 30% au Mali et au Tchad. Face au défi engrais, les propositions des organisations internationales, de l’OMC à la FAO, semblent déficientes : engrais organiques, production locale d’engrais, etc.

Le ministère de l’agriculture américain[11] est confiant que la campagne 2023-2024 sera plus favorable que celle de 2022-2023. Par un premier biais, on totalise la production cotonnière de la zone franc[12]. Elle reste donc encore en état de veille cérébrale pour ce qui est du coton, mais elle agrège le Sénégal, et le champion béninois, au Mali enclavé et sous sanctions.

De plus, la campagne 2022-2023 a été marquée par l’attaque parasitaire sur le coton au Mali et au Burkina qui ont connu, de plus, un excès de pluie à la même période. Ainsi au Burkina dans les aires sous contrôle de SOFITEX (Banfora et Bobo Dioulasso) et de FASOCOTON par ailleurs, des superficies cultivées ont été abandonnées suite aux pluies. Les parasites ont attaqué le coton et la productivité a baissé. Dans la région de Sikasso au Mali la quantité d’engrais disponibles a diminué de 40% et le restant a parfois été utilisé pour les cultures vivrières.

L’avenir compromis

Les cotonculteurs attribuent pourtant davantage à la CEDEAO leurs difficultés d’accès aux engrais qu’au conflit en Europe. Ils revivent en pire les années les scénarios dégradés des années antérieures :  les engrais et semences sont livrés tardivement, parfois même au-delà de la période indiquée pour les semis et l’application de la fumure minérale comme le préconise l’itinéraire technique. Cette situation cause d’énormes pertes aux producteurs qui ne seront jamais dédommagés.

Au-delà de l’impasse de la demande d’engrais qui, du fait des contraintes sur l’offre, n’est plus solvable, la situation de la filière coton illustre l’arrogance de l’AFD et de la Banque mondiale à promouvoir un modèle de développement démocratique de l’agriculture.

Les pertes immédiates enregistrées, ces dernières années, accélèrent l’abandon des cultures de rente, ralentissent la circulation monétaire et bien sûr fragilisent la cohésion sociale. Y répondre par l’aide alimentaire qui transforme les travailleurs de la terre en mendiants ne parait pas très avisé dans le contexte tendu du Mali. De plus, les périls qui s’annoncent depuis deux décennies et qui concernent l’environnement sont déniés.

La France a été la championne depuis 20 ans de la cause écologique[13]. Le culture du coton au Mali est un héritage colonial de plus et sera confortée, sans la capacité du géant américain, à la même usure des sols que les Etats-Unis. Il y a donc un véritable enjeu de vulnérabilité pour des régions entières du Mali où la guerre n’a pas encore complètement expulsé les paysans. Il est décevant que la nouvelle orientation du discours africain du président Macron ne soit pas à la hauteur des échecs des politiques agricoles[14] cautionnées par l’AFD, de la géopolitique[15]du Sahel et de la polycrise de la Terre.

Olivier Vallée


[1]AFRIQUE : PhosAgro, Uralchem, Eurochem : les géants russes des engrais face aux sanctions – 21/03/2022 – Africa Intelligence

[2]Le 11 mars 2022, la tonne de DAP, l’un des fertilisants phosphatés les plus utilisés sur le continent africain, s’échangeait à 930 € la tonne (hors frais de transport), soit 105 € de plus qu’une semaine auparavant. A la même date, le prix de l’urée était de 935 € la tonne, soit 275 € de plus que sept jours plus tôt.

[3] World Bank. 2022. « The Impact of the War in Ukraine on Commodity Markets », Washington DC.

[4] AFRIQUE : PhosAgro, Uralchem, Eurochem : les géants russes, op.cit.

[5] Ibid.

[6] C. Hebebrand and D. Laborde. 2022. « High fertilizer prices contribute to rising global food security concerns », International Food Policy Research Institute (IFPRI). Blogpost.

[7] Le nouveau guichet « choc alimentaire » du FMI

[8] L’intérêt pour le coton est alors aiguisé par la hausse des prix consécutive à la guerre de Sécession. « On arrivera à la solution de ce problème économique par l’exploitation des contrées où l’on a de grandes étendues de terrain disponibles, un sol propice, un climat toujours favorable, une main-d’œuvre abondante et à bas prix, enfin, une grande facilité pour la circulation des denrées. » Production du coton dans nos colonies, par H. Poulain, avril 1863

[9] African Union, Africa Fertilizer Financing Mechanism, United Nations Economic Commission for Africa. 2019. “Promotion of Fertilizer Production, Cross-border trade and consumption in Africa”, Abidjan, Cote d’Ivoire.

[10] Quatre pays, le Bénin, le Burkina, le Mali et le Tchad sont supposés avoir des cultures de coton organique et forment ce syndicat disposant d’un label pour des acheteurs comme Woolmart, Carrefour ou Zara.

[11]https://www.usda.gov/sites/default/files/documents/2023AOF-cotton-outlook.pdf

[12] Ibid : “On the plus side, Pakistan’s 2023/24 crop is expected to rebound 1.2 million bales from its flood damaged level in the previous year. The projected increase in U.S. production is the next largest foreseen, a 1.1-million-bale gain, followed by the Franc Zone’s yield-driven increase of 400,000 bales, and Australia’s expected 300,000-bale gain as high reservoir levels support expected irrigated plantings there.”

[13] Cunningham, M. A., Wright, N. S., Mort Ranta, P. B., Benton, H. K., Ragy, H. G., Edington, C. J. and Kellner, C. A. (2021) Mapping vulnerability of cotton to climate change in West Africa: challenges for sustainable development. Climate, 9(4), 68.

[14] Daouda, Y. H. (2015) Les politiques publiques agricoles au Niger face aux défis alimentaires et environnementaux: entre échecs répétitifs et nouvelles espérances. Les Cahiers d’Outre- Mer, 68(270), 115-136.

[15] Daoust, G. and Selby, J. (2021) Understanding the politics of climate security policy discourse: the case of the Lake Chad Basin. Geopolitics, 1-38.