Le mammouth oublié
Soudan, entre les massacres des populations de Gaza et la guerre fratricide de l’Ukraine et de la Russie, déroule parfois ses populations chassées, pillées et affamées. La tragédie accompagne cette immense contrée dessinée par l’empire ottoman dès 1821 et caricature de la colonisation britannique débutée en 1898. La France enviait pourtant à Londres ce morceau d’Afrique irrigué par le Nil et prolongement de l’Égypte, également longtemps avant un fleuron de la sublime Porte. Le Mali avait reçu le nom de Soudan français pour mieux rappeler la fascination pour cette immense tranche du cake africain découpé à la conférence de Berlin.
Dès le début de leur occupation, les maitres étrangers du Soudan abandonnent le Sud, peuplé de Noirs, aux razzias d’esclavagistes venus de la Mer Rouge et de l’Océan Indien sans parler des Arabes du Machrek. Le nord du Soudan où se trouve la capitale Khartoum est considéré par les colonisateurs comme une zone utile dotée de quelques rudiments de service public et d’infrastructures pour l’exploitation du potentiel agricole considérable de terres fertiles.
Quand le Soudan devient une nation indépendante, c’est l’élite éduquée du Nord qui s’installe au pouvoir et considère tout ce qui l’entoure comme la périphérie d’un centre arabe qui génère un système d’accumulation de la richesse basé sur la discrimination vis-à-vis des groupes nomades et des sédentaires négro-africains. Tout va à Khartoum et reste à Khartoum dans les années d’après l’Indépendance avec des régions oubliées et méprisées comme le Darfour et des parties Sud du pays, en particulier celles limitrophes de l’Érythrée.
Omar el Béchir peu de temps après la prise du pouvoir
Les premières élites intellectuelles et/ou économiques sont historiquement liées aux grands partis politiques soudanais que sont le Democratic Unionist Party (DUP) mené par la famille Mirghani et adossé à la confrérie de la Khatmyya et le National Umma Party (NUP) dirigé par la famille Al Mahdi qui s’adosse aux Ansar (les Ansar sont les « compagnons » de la famille Al Mahdi descendante de Mohamed Ahmed Ibn Abdallah qui se proclame Mahdi à la fin du XIXe siècle et établit, après avoir chassé Turcs et Britanniques, un régime théocratique au Soudan).Les divisions religieuses et raciales, les inégalités économiques et l’exclusion des partis politiques de la vie institutionnelle vont susciter des guerres civiles à répétition.
Le Sud finira par faire sécession et possède à présent sa capitale et son gouvernement à Juba. Au Nord, la vie politique est marquée par l’alternance et parfois la conjugaison d’une forme de démocratie parlementaire et de régime militaire. Il en ressort la formation d’un État prédateur et autoritaire que ses dirigeants, civils ou en uniforme, reproduisent dans le temps. Dans ce contexte, la guerre devient un mode d’expression politique d’autant plus que le pays est marqué par la grande révolte du Mahdi qui va défaire l’empire britannique en la personne de Gordon Pacha. Après l’accession à la souveraineté nationale, la révolution apparait au Soudan comme une voie de libération incarnée par un puissant parti communiste. Les Américains y mettront bon ordre en favorisant la réaction et les militaires. Un jeu dangereux qui aboutit en 1989 à l’accession au pouvoir du National Islamic Front (NIF) qui deviendra le National Congress Party (NCP). Au programme de ce parti inspiré par le modèle de la Malaisie : une administration autoritaire, un Islam militant et la suprématie raciale arabe. Et le début de la montée de l’homme qui a transformé le destin du Soudan en fractionnant cet État mammouth : Omar El Béchir.
Dix ans après, en 1999, ce cocktail explosif de pouvoir sans partage est servi par l’extraction abondante de pétrole. L’élite de la capitale s’enrichit un peu plus et la périphérie s’appauvrit davantage. L’industrie pétrolière est accaparée par le haut commandement militaire, les grands commerçants et les castes de l’administration. Conforté par de puissants alliés internationaux et soucieux de préserver l’identité arabo-musulmane, le régime signe avec la rébellion du Soudan du Sud, le SPLM, des accords de paix en 2005. Ces accords de paix prévoient l’organisation d’un référendum d’autodétermination du Soudan du Sud en 2011 et la tenue d’élections nationales « libres » en 2010. Durant cette période (début des années 2000 à 2010), et malgré le conflit meurtrier du Darfour, le Soudan connaît une période de (très) relative libéralisation politique. Les partis politiques sortent de la clandestinité et commencent à reprendre des activités, de multiples associations et syndicats étudiants se créent ou se remobilisent pour contester la domination des groupes islamistes liés au pouvoir sur les campus, de nombreuses associations et ONG voient le jour dans le sillage du regain d’activité des partis politiques, du conflit au Darfour et de l’apport financier des ONG internationales. Il ne faut certes pas surévaluer cette libéralisation politique : les partis politiques sont toujours sévèrement contrôlés, la presse subit la censure et la violence de la National Intelligence Security Service (NISS). On verra cette mouvance civile tenter de revenir au premier plan avec l’éviction d’Omar el Béchir. Celui-ci a d’ailleurs bâti son pouvoir sur la NISS qui regroupe les services extérieurs et intérieurs de sécurité soudanais. La NISS a en charge de contrôler la presse et les opposants et commande un certain nombre d’unités paramilitaires -comme les Rapid Support Forces- jusqu’en 2018. C’est l’année du réaménagement du système soudanais de défense et de sécurité et le prélude à la fin d’Omar el Béchir et au début de la guerre actuelle qui oppose les Sudan Armed Forces (SAF) et les Rapid Support Forces (RSF).
Le moment Omar el Béchir
Omar El Béchir, en 1989, à travers le renversement de Sadek El Mahdi bouscule l’héritier d’une dynastie et met fin au bipartisme de fait qui régnait sur le Soudan. Un coup d’État appuyé par le Front islamique national (NIF) de son mentor Hassan al-Tourabi, décédé en 2016 après être devenu son opposant. Omar El Béchir, élu deux fois à la présidence dans des scrutins boycottés par l’opposition, en 2010 (68,2 % des voix) et 2015 (94 %), comptait briguer un troisième mandat en 2020. En 1989, cet homme vient de nulle part et pourtant il amorce une carrière politique exceptionnelle et va jouer un rôle sur la scène mondiale. En effet, le militaire qui s’installe au pouvoir avec le National Islamic Front impose à ses pairs et aux élites civiles sa personnalité puissante et une vision neuve pour le Soudan. Il reste bien sûr le produit du système d’exploitation et de ségrégation mis en place à la période coloniale et parachevé après l’Indépendance. Omar El Béchir poursuit la politique de confiscation des richesses et des pouvoirs au profit des élites arabes de la capitale. Les massacres se poursuivent contre les populations non-arabes du Soudan du Sud, du Nil bleu et des monts Nouba. Il va aussi héberger Oussama Ben Laden entre 1991 à 1996. Cela vaut au Soudan d’être placé par les Etats-Unis sur la liste des « États soutenant le terrorisme ». Dans un premier temps, le président soudanais n’en tient pas compte car Ben Laden injecte des fonds dans l’économie soudanaise. Omar El Béchir veut du pouvoir et de l’argent et s’affranchit peu à peu de l’armée nationale dans laquelle il n’a pas confiance et facilite la formation de groupes politico-militaires à son service. Telles les milices arabes janjawid dans l’Ouest impliquées dans la guerre sanglante qui éclate au Darfour en 2003. Présenté à la fois comme une lutte entre « Arabes et Africains » et « gouvernement contre rebelles », ce conflit entraîne la mort de plus de 300 000 personnes et le déplacement de plus de 2 millions d’habitants.
En 2009, la Cour pénale internationale (CPI) lance contre Omar El Béchir un mandat d’arrêt pour «crimes de guerre et contre l’humanité » au Darfour, avant d’ajouter le crime de génocide en 2010. Cependant Omar El Béchir a de puissants amis dont la Chine et il s’impose comme un leader islamique remplaçant les confréries originales du Soudan par des Frères musulmans d’humeur nationaliste. Erdogan n’a pas encore l’aura qu’il posséde aujourd’hui chez les Frères musulmans et les fonds islamiques affluent à Khartoum. En 1973, il s’est battu physiquement contre Israël avec les Égyptiens, et il invente un libéralisme économique en faveur des élites qui l’autorise à mépriser les leçons du FMI. Son maitre en Islam et en économie sera le tyran malaisien Mahathir Mohamad[1], Premier ministre depuis 1981 et à la tête d’un quasi-émirat riche en hydrocarbures en particulier. Mahatir s’opposera aux différentes agressions occidentales contre l’Irak et inaugure ce qui deviendra le bloc émergent des États qui veulent une position neutre du Global South. La condamnation de la CPI lui vaut le soutien de l’Afrique et lui permet de présenter comme celui qui défie l’Occident et sa justice des vainqueurs.
Absorbé par la protection des frontières avec le Tchad en particulier et confiant dans la collaboration secrète avec la CIA, Béchir n’a pas vu venir la surprise du Sud. Après deux interminables guerres (1955-1972 et 1983-2005) qui auront fait des millions de victimes, le régime d’Omar El Béchir prend acte de la création du Soudan du Sud, le 9 juillet 2011. Cela se traduit par la perte d’un quart du territoire et surtout des trois quarts des ressources pétrolières. Un scénario qui n’était pas écrit d’avance : John Garang, le leader historique sud soudanais, imaginait au contraire un nouveau Soudan dans lequel la dictature des tribus arabes du Nil serait remplacée par une fédération démocratique. Sa mort dans un accident d’hélicoptère en 2005 précipitera la marche vers l’indépendance du Sud sans qu’Omar El Béchir ne cherche à l’enrayer. La perte de cet immense réservoir de pétrole qu’était le Sud pèse sur le budget de Khartoum mais permet au NIF d’éviter toute contestation politique au nom du front commun contre les sécessionistes du Sud et les traitres pacifistes de la société civile au Nord. Le poids en Afrique comme dans le monde du Soudan de Khartoum n’a pas diminué, au contraire. Le Soudan Sud est abandonné après son Indépendance et la France comme l’Europe n’y ont que des représentants médiocres, incultes des réalités de cette nation multiple et dépourvus de ressources financières pour rattraper un immense retard en matière de développement ?
La carte ci-dessous qui date de 2023 est parlante dès 2003. Le Darfour à l’Ouest sur la carte est un enjeu pour la Libye et le Tchad qui seront les premiers acteurs de la transnationalisation du conflit que Roland Marchal diagnostiquait dès 2006.
Roland Marchal écrivait alors : « Plusieurs États ont joué un rôle essentiel dans le maillage des conflits au Tchad et au Darfour. Certains l’ont fait consciemment ; pour d’autres, il s’agit plutôt d’effets non intentionnels de leurs politiques ; pour la France en particulier, il s’agit sans doute d’un aveuglement de plus». Les barbouzes françaises apprécient le régime d’Omar El Béchir et à ses débuts, le francophone Hassan El Tourabi, diplômé de la Sorbonne, sert de courroie de transmission. Charles Pasqua sait en particulier reconnaitre les hommes de qualité et arrache l’extradition de Carlos. J’ai assisté en 2018 à l’École militaire française à la présentation de la réforme des Forces Armées Soudanaises (SAF) qui prévoyait les Rapid Support Forces. Paris va commencer à se poser des questions quand les civils et les officiers chassent Omar El Béchir en 2019. Ce dernier a agi comme un maitre artificier jouant de la division du pays, d’une diplomatie des services secrets qui lui permettait de téléphoner au Mossad comme à la DGSE, de l’émergence d’armées non étatiques mais transnationales comme les Rapid Support Forces (objet de la partie 3 de cette série) et de relations financières solides avec l’Islam militant. Le tout a fini par lui exploser la figure. Et le Soudan avec.
La revanche de Frankenstein
Omar El Béchir venait de la banlieue du pouvoir, personne par contre ne sait où Hemedti, soit petit Mohammed, est né. Il a migré au Soudan probablement à partir du sud du Tchad. Il est tout à fait indifférent à l’idée d’État nation. C’est assez grotesque d’écrire qu’il s’agit d’un combat à mort pour le pouvoir entre Burhan, le chef de l’armée et lui. On assiste plutôt avec les Special Rapid Forces d’Hemedti à l’instauration d’une puissance transnationale privée dont la raison sociale est la captation des richesse.
L’homme est une créature fabriquée par Omar El Béchir mais qui va s’échapper du système qui pensait l’utiliser. La scission des forces de défense et de sécurité en trois groupes, décidée par Omar El Béchir, lui a procuré un instrument redoutable : les Rapid Support Forces. Ce n’est pas une milice, comme on l’écrit souvent, ni un groupe paramilitaire, mais un contrepoids à l’armée conventionnelle dirigée par des officiers conservateurs, proches du modèle égyptien de capitalisme d’État au service des militaires. Le général Mohammed Hamdan Daglo, dit Hemedti, porte l’uniforme régulier de son corps et ne se révèle un dissident que lorsqu’il s’oppose, de manière hypocrite, à la répression, par l’armée conventionnelle, de la révolte des civils sur la période 2019-2021.
La dégradation de la situation économique après le coup d’État d’octobre 2021 va le convaincre de revenir à sa grande entreprise personnelle de pillage et de désorganisation de l’ensemble de la zone soudano-sahélienne. Le coup d’État de 2021, de plus, met en lumière ce qu’Omar El Béchir dissimulait avec art. Le Soudan ne survit que grâce à des soutiens extérieurs. A l’instigation de la France (qui a versé 5 milliards d’Euros au FMI), les créanciers occidentaux ont annulé la dette soudanaise lors du gouvernement civil (2019-2021). Presque 50 % du blé consommé au Soudan provient de Russie.
Le 15 avril 2023, la guerre civile s’installe à Khartoum. Elle oppose les troupes de l’armée régulière du général Al-Burhan, au pouvoir depuis son coup d’État du 25 octobre 2021, et les Forces de soutien rapide (SFR) du général Mohammed Hamdan Daglo. Ce dernier et ses troupes sont bien sûr plus aguerris que les soldats de l’armée régulière, émasculés par la surveillance constante des services secrets au service d’Omar El Béchir et des Frères musulmans. Hemedti s’est entrainé au massacre et au déplacement rapide de ses forces avec les Janjawid du Darfour auxquels il a agrégé des mercenaires venus du Tchad, de RCA, de Libye et du Niger. Outre les atrocités commises au Darfour, Hemedti est à la manœuvre dans les opérations extérieures (OPEX), comme une armée occidentale. De 2017 à 2019, les miliciens d’Hemedti ont massacré les populations civiles au Yémen comme ils l’avaient fait auparavant au Darfour. Les 40 000 hommes du corps expéditionnaire soudanais au Yémen, engagés avec le financement des Émirats Arabes Unis et armés par la France, s’activent à présent dans leur propre pays.
Le patron Hemedti est riche des millions d’US $ que ses bailleurs lui donnent, de l’or qu’il exploite avec sa famille et des trafics qu’il entretient avec un de ses homologues, le maréchal Haftar. De nombreux combattants d’Haftar rejoignent d’ailleurs l’offensive actuelle des RSF dans l’Ouest du Soudan. Haftar et Hemedti sont liés par le monde des trafics, du Captagon à l’or, en passant par le bétail, les femmes, les migrants et les voitures volées. Pour Haftar, la victoire des RSF est un gage de la reconduction de l’économie criminelle dans le triangle Libye, Tchad et Soudan. L’accès à Port Soudan serait pour Haftar une alternative à la perte de la côte libyenne de mieux en en mieux surveillée par l’aviation militaire gouvernementale de Tripoli. La LNA, l’armée d’Haftar a contribué au renforcement et à la formation des RSF en vue des batailles actuelles. C’est un juste retour des choses car 1000 soldats d’Hemedti, payés par les Émirats, ont aidé Haftar dans sa piteuse tentative de prendre Tripoli. Un des fils d’Haftar, Sadiq Haftar, est le président honoraire d’une grande équipe de football du Soudan et son père a emprisonné un chef de milice soudanaise Moussa Hilal, ennemi d’Hemedti et vainqueur de Wagner dans certains affrontements en RCA. Haftar et Hemedti combinent avec habileté et duplicité les soutiens russes et émiratis et ont établi une logistique d’approvisionnement militaire et en carburants s’appuyant sur plusieurs pays et s’étirant sur des milliers de kilomètres. Il y a quelques jours à Benghazi l’équipe de football soudanaise de Sadiq Haftar venait disputer un match amical face à une équipe libyenne.
Sur le terrain soudanais, Hemedti a bénéficié des appuis de ses voisins du Tchad et d’Éthiopie. Les Émirats Arabes Unis ont ainsi, avec les partenaire éthiopien et tchadien, libéré Hemedti de toutes entraves dans son entreprise de contrôle du Darfour et de l’Ouest du pays. Une bonne partie des forces spéciales des services de renseignements soudanais se sont ralliées aux SFR et dans l’entourage du général Hemedti, les Islamistes, proches jadis d’Omar El Béchir, font leur apparition. Le choc du 7 novembre 2023 en Israël fait paraitre en Occident bien lointain les crimes de guerre et les violations des droits de l’homme enregistrés depuis plusieurs décennies au Soudan. Comme le bourreau du Tigré, Hemedti a les mains libres pour les exactions de très grande envergure contre les populations de souche africaine du Soudan.
En faisant la jonction entre la frontière tchadienne, où Abu Dhabi a joué récemment un rôle politique et militaire déterminant, et Port Soudan, les RSF ouvriraient une route inédite à la pénétration physique du Golfe en Afrique de l’Est et scelleraient la marginalisation de l’Égypte. Hemedti est un nomade indépendant de la matrice soudanaise qui participe à l’édification d’une géopolitique inédite de l’Afrique au-dessus de l’Équateur.
C’est le dernier quart d’heure pour le régime de Khartoum et seul l’Iran, maitre de la Mer Rouge avec le levier des Houthis, pourrait sauver Burhan de la défaite totale. Burhan est un assez bon stratège diplomatique à défaut d’être un tacticien militaire. Il a ainsi rétabli des relations diplomatiques avec l’Iran le jour de l’attaque du Hamas en Israël. Un acte qui ne lui vaut pas la sympathie des Etats-Unis qui le rendent responsable de la crise humanitaire soudanaise que les Nations-Unies déplorent comme d’habitude.
La volonté d’impuissance
Mais que fait la communauté internationale devant le désarroi et les souffrances d’au moins la moitié des 50 millions de Soudanais ? Le conseil de sécurité n’a pas engagé de mise en garde à l’adresse d’Hemedti et le système des Nations-Unies, comme il se baptise lui-même, révèle son inefficacité à enrayer les massacres et à secourir les victimes. S’il perd la bataille, Hemedti sera comme Omar El Béchir accusé de crimes de guerre et Ali Burhan reçoit déjà de fortes pressions du département d’État américain qui aimerait que les ONG américaines, adventistes en particulier passent par Port-Soudan. Les leaders soudanais qui s’affrontent ont déjà leurs refuges dans le Golfe au cas où l’issue des combats leur serait définitive. L’incapacité de la CPI à se saisir d’Omar El Béchir relativise la menace d’une justice internationale discréditée.
Aucune des deux parties guerrières en présence ne relâche la pression dans les combats et les exactions. Les canaux humanitaires ne sont ouverts qu’avec parcimonie et après des chantages en particulier d’Hemedti. Les forces régulières de l’armée soudanaise sont craintives devant les SFR et seule leur aviation décolle mais pour bombarder les zones civiles. Cela ne plait pas aux Américains qui, via leurs ambassadeurs au Kenya et à Addis Abeba, le font savoir. Le seul contributeur majeur effectif qui vient à en aide aux populations pour l’instant apparait l’Arabie Saoudite, généreuse en vivre, abris, et médicaments. Mais les ONG saoudiennes n’ont que peu d’accès aux régions où les SFD dominent et elles sont nombreuses.
Riyad se positionne en apparence sur le plan humanitaire lors des discussions en cours à Genève. Pour l’instant ce sont les SFR qui sont louées comme le « good guy » de l’affaire car des vivres et des médicaments ont pu arriver au Kordofan et au Darfour. Deux régions où les SFR rencontrent de fortes résistances, non pas du fait des forces armées soudanaises, mais de milices soutenues par le Tchad d’un côté, et l’Érythrée de l’autre. Ali Burhan est mal vu par les médiateurs extérieurs car il refuse de participer à des négociations dont il sait qu’il sera le perdant. Chez les bonnes fées de la médiation, à côté de l’Arabie saoudite, on compte les Etats-Unis, la Suisse, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis et des figurants, les Nations-Unies et l’Union africaine. L’ennemi déclaré reste la famine et le choléra alors que le mal est ailleurs, il s’agit de la guerre qui frappe les civils essentiellement. Les commentateurs alertent sur le fait que le Soudan deviendrait un État en faillite comme la Somalie ou une nation fragmentée comme la Libye. Il est les deux depuis si longtemps que ces remarques semblent dérisoires pour rester poli.
D’autres protagonistes devraient être présents dans les négociations en cours, comme la Chine, la Russie, l’Iran, la France, la Turquie, la Grande-Bretagne l’ancien colonisateur. Le services secrets français et ceux d’Omar El Béchir collaborent depuis longtemps et l’anti-islamisme de façade d’Hemedti plait à Paris comme les massacres d’Haftar à Benghazi ont été mis sur le compte de la lutte contre le terrorisme. Le président Macron, le Trésor sous l’égide de Bruno Lemaire et les affaires étrangères poursuivent leur ambition singulière au Soudan. Rétablir une troisième voie civile qui départagerait les deux protagonistes militaires. Se poser comme redresseur des comptes publics soudanais et traiter la considérable dette extérieure et peut-être récupérer les 5 milliards US $ avancés. Obtenir des marchés afin que les entreprises françaises soient en bonne place pour la reconstruction. Le président Macron est mécontent d’Haftar qui s’entend très bien avec Melloni et aide le Niger, la bête noire de l’Élysée. Comme il est l’ami d’Hemedti, celui-ci n’est plus aussi bien vu à Paris.
La Chine depuis l’Indépendance est présente au Soudan et a su avec l’extraction du pétrole jouer un rôle majeur dans l’enrichissement du pouvoir de Khartoum sans se brouiller avec le Sud-Soudan indépendant. Elle a trouvé dans cet univers troublé le laboratoire de sa doctrine de la non-interférence. Elle va continuer de s’y référer tant que ses intérêts vitaux ne sont pas menacés. Mais l’attentisme américain au Soudan parie sur la désagrégation des réseaux historiques d’affaires et d’usines d’armement de la Chine. La conflagration générale du Soudan met à mal il est vrai des années d’investissement et des créances élevées sur le Trésor soudanais.
Dans la dernière ligne droite de la campagne pour les élections américaines, le président Biden va intensifier ses efforts pour une sortie de la crise soudanaise avec la priorité donnée à une trêve et à la réponse humanitaire. C’est nécessaire pour une opinion publique américaine longtemps mobilisée sur les mauvais traitements des chrétiens du Soudan. Et aujourd’hui traumatisée aux bombardements de Gaza comme aux meurtres de masse au Soudan. Le Foreign Policy Institute de la Johns Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington est le laboratoire qui élabore les campagnes de presse sur la question et l’agenda des étapes de la paix provisoire et armée au Soudan. Ce ne peut être que le cas. La Russie n’est plus la bienvenue dans la zone de Benghazi et par conséquent n’a plus aucune retenue à soutenir Khartoum avec l’allié stratégique et tactique qu’est l’Iran. La question cruciale qui s’annonce est : qui des Émirats Arabes Unis ou du couple Russie-Iran tiendra les ports maritimes soudanais. Les Etats-Unis ont déjà fait leur choix.
Olivier Vallée
[1] Mahathir, tyran repenti, au défi de la démocratie en Malaisie
A 92 ans, le plus vieux leader de la planète sait que ses jours sont comptés. Il doit prouver que le gouvernement qu’il a formé en fin de semaine dernière est capable de se montrer à la hauteur de ses promesses. Par Bruno Philip (Kuala Lumpur, envoyé spécial)
Publié le 15 mai 2018 à 06h50