L’actualité récente dévoile la montée des pressions sur le Mali et l’impact du réaménagement des équilibres internationaux en Afrique. A travers trois problématiques il transparaît l’absence de stratégie diplomatique du comité militaire en place à Bamako. La nomination et l’activisme du ministre Diop n’ont débouché ni sur un positionnement international du Mali ni sur la délivrance d’un message de mémoire et d’avenir aux citoyens maliens de l’extérieur et de l’intérieur. La communauté malienne en RCI s’insurge contre la rupture entre son pays et la CEDEAO. Elle estime que cela va lui couter de l’argent pour les cartes de séjour et que sa mobilité dans la zone sera réduite. Il s’agit de l’avenir, mais pour le passé, les Maliens semblent aussi marginalisés. Ainsi le rôle des combattants maliens dans le débarquement en Provence est aux oubliettes, autant à Paris qu’à Bamako. Alors que le Président Macron dénie au Sahara occidental le droit à l’autodétermination, aucune concertation d’initiative ouest-africaine ne se dessine pour rechercher un compromis entre les points de vue de l’Algérie et du Maroc. Pourtant cette question n’est ni éloignée ni indifférente au géant territorial qu’est le Mali. Bamako aurait une gêne de recevoir l’appui de la Russie ? Ce qui expliquerait une certaine pause dans l’action diplomatique d’un pays qui avec Modibo Keita, Blondin Bèye et ATT avait compté sur la scène africaine mais aussi mondiale. Le 29 novembre 1980, Alioune Blondin Bèye, ministre des affaires étrangères maliennes de l’époque, déclara la reconnaissance de l’OLP (Organisation pour la Libération de la Palestine) et de son ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire Abou Rabba. Les régimes successifs ont été fidèles à cette ligne politique et ont tâché de l’exprimer lors des votes de sanctions prises contre Israël au sein de l’ONU et d’autres institutions internationales comme l’UNESCO. Aujourd’hui la relation entre l’État hébreu et le Mali, surtout au regard du massacre quotidien des habitants de Gaza n’est pas clairement définie. Il ressort de tout cela ambiguïtés et lacunes qui interrogent. Le ministère des affaires étrangères souffre soit d’être subordonné aux élites martiales soit d’être paralysé de leur déplaire. Il ne peut y avoir à la fin qu’un État malien réduit à peau de chagrin sur le plan international et une perte de visibilité de leur nation par les citoyens de l’intérieur et ceux nombreux d’une des plus grandes diasporas du monde.
L’isolement mémoriel
Le 15 Août, non loin du fort de Brégançon, le président Macron entend remonter sur le podium en commémorant le débarquement en Provence des troupes alliées. Les Français libres ont pu enchainer le débarquement du 6 juin 1944, mais à condition de blanchir les soldats qui vont rentrer ensuite dans Paris et Strasbourg. C’est la condition que posent les Américains en plein retour de la ségrégation chez eux. En Provence, par contre les ⅔ des contingents français sont constitués de tirailleurs algériens, de goumiers marocains et de tirailleurs sénégalais. Beaucoup ne parlent pas le Français et l’arabe est la première langue qu’entendent les habitants de Fréjus. Le président Macron est attaché à cet anniversaire et y a associé l’ex-président Condé ou le chef de l’État ivoirien. Cette année, auraient dû être de la partie les dirigeants algériens, marocains, sénégalais et maliens. Cela va être difficile pour Alger de se présenter à cette cérémonie après le brutal désaveu français de l’indépendance du Sahara occidental. Le roi du Maroc lui-même a un agenda complexe et chargé. Le nouveau président sénégalais, malgré son déplacement à Paris pour l’ouverture des jeux olympiques, n’apprécie pas les soudaines médailles sélectives de Macron aux victimes du massacre de Thiaroye.
En plein chambardement politique français, le même président Macron a pris le temps d’une réunion de crise avec ses plus proches collaborateurs pour proscrire la présence d’officiels Nigériens et de Maliens de haut niveau à la commémoration qui les concerne au premier chef. La France d’Emmanuel Macron décide sur de nombreux plans de revenir sur les signaux pourtant envoyés lors de son premier mandat. Dans son collimateur ce que certains nomment maintenant à Paris le Sahelistan. Sa technique, l’isolement mémoriel pour les pays africains qui l’ont contrarié.
Soldats du 8e régiment de tirailleurs sénégalais à bord du paquebot M.S. Batory, août 1944.
Le président Macron, avant sa première élection, avait pourtant irrité toute une partie de l’armée française qui reste dans la filiation de ce que l’on nomme l’Armée d’Afrique, dont l’Algérie est le berceau, l’Afrique noire étant réduite à la Force noire des tirailleurs sénégalais. La bureaucratie muséale et culturaliste de l’Afrique a été aussi choquée par le rapport demandé par Macron et qui tendait à la restitution des objets de l’art africain dérobés par la violence ou la fraude. Symboliquement, la commémoration du débarquement offrait la possibilité de la reconstruction d’une mémoire commune avec l’Afrique du Sahel et la possibilité d’un nouveau départ. On en est loin. Mais le Mali, tant pour la récupération des fétiches et statues volés par la mission de Michel Leiris, que pour les droits au souvenir des combattants maliens morts pour la libération de la France, n’aura fait montre d’aucune initiative ou revendication. Il était souhaitable pourtant de montrer que l’histoire ne peut être effacée unilatéralement, en particulier du fait de l’ancien colonisateur et oppresseur.
L’opinion malienne sans boussole ?
La stratégie de l’État français reste de s’affilier les diaspora du Maghreb et de l’Afrique francophone. Cette communauté immigrée s’est trouvée un temps cooptée dans le conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) mais sans réussir la jonction avec les nations dont sont originaires les populations installées en France. Les coups de barre de Macron déstabilisent à présent la cohabitation entre ces groupes humains, partageant souvent une commune nationalité française. Dans la commune de l’île Saint Denis, dont le maire est d’origine malienne, au mois d’août 2024, la controverse sur la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental a déclenché une cybernétique bataille selon les appartenances nationales d’origine des protagonistes. La position du ministre des affaires étrangères de Bamako n’est pas très audible sur les bords de la Seine, que ce soit au quai d’Orsay ou à l’ile Saint-Denis. Il y a certes le souci de la protection des citoyens maliens en France qui prédomine dans l’esprit des missions diplomatiques et consulaires. Cependant, le rappel de la contribution du Soudan occidental à deux guerres françaises et son attachement à l’autodétermination des peuples ne sont pas des insultes à l’avenir. La rupture entre Paris et les pays de l’Alliance des États du Sahel a accentué le hiatus entre les gouvernants mais a aussi marqué les opinions publiques locales. Ces dernières sont en fait solidaires des militaires au pouvoir tant l’attitude de Paris parait négative. La brutalité de la politique des visas, en particulier, illustre bien le fantasme démographique d’une ruée africaine, partagé par Macron et une nomenklatura française frileuse et complaisante avec le racisme du mauvais objet que constitue le Rassemblement national. Ont particulièrement souffert de cet embargo et de son cortège d’humiliations les pays du Sahel et leurs parentèles françaises ou installées en France, privées de tout rapprochement familial. L’accès aux universités et aux écoles françaises, sans parler des formations militaires, s’est encore restreint. Même si cela a été toléré voire parfois provoqué par les colonels maliens, ne doivent-ils pas en prendre acte et laisser les coopérations scientifiques, culturelles et techniques reprendre dans un cadre décentralisé et selon un mode dépolitisé ?
A la recherche d’une politique étrangère?
Avant même l’arrivée de Wagner, la Russie avait recommencé à accorder des bourses aux Maliens et a favorisé leur formation, y compris militaire. Les officiers des FAMA sortis d’une filière française sont à présent minoritaires et isolés face à leurs collègues issus d’académies militaires russes ou américaines. Le mot d’ordre prioritaire de la politique africaine de Macron s’avère in fine la réorientation géographique des transactions commerciales vers des poids lourds de l’autre Afrique : Nigéria, Afrique du Sud, Angola, Maroc, Sénégal.
Le Sahel, mais surtout le Mali, sur le terrain militaire, sont à présent menacés par des forces extra africaines comme les Ukrainiens. Leur récent coup de force au Mali n’a pu s’exécuter qu’avec l’appui du contingent français en Mauritanie et des moyens aériens que les Ukrainiens n’avaient pas. Et le silence de l’Algérie ! Le Maroc confronté à un besoin croissant de céréales se rapproche à présent de Moscou et ne souhaite pas lui déplaire par rapport aux agissements franco-ukrainiens. Le Sénégal, et nombre de pays du continent, savent que l’URSS et la Russie n’ont jamais entamé la souveraineté de leurs partenaires africains. Au contraire, l’URSS a contribué à la libération des colonies portugaises et au soutien de la ligne de front des pays faisant front contre l’apartheid. Que le chef militaire qui conduit le Mali décide de la rupture des relations diplomatiques avec Kiev semblait inévitable. Mais n’aurait-il pas été opportun que le ministre des affaires étrangères saisisse l’ONU et qu’il demande à l’UA et à ses collègues un immense mouvement de soutien face à l’agression caractérisée de l’Ukraine? L’attitude courageuse de nombreux pays africains, dont le Sénégal, de ne pas prendre parti dans la guerre entre Russie et Ukraine , montre que la voix continentale n’est plus subordonnée à la préférence des anciens colonisateurs.
La position internationale du Mali reste à construire avec des ajustements et de larges alliances inspirées de la neutralité positive de Modibo Keita. Le Mali a connu de grands diplomates y compris quand un militaire était au pouvoir. Certes l’hostilité extérieure semblait moins vive à cette époque. Les défis changent mais la politique étrangère demeure une arme dont aucun régime ne peut se passer. D’ailleurs, comme après une déchirure, l’important (et sans doute le plus difficile) serait de retisser le lien avec les États l’Union européenne, dont au premier chef l’Allemagne et l’Italie. Deux pays qui ne ferment la porte ni à Moscou ni au Sahel.
Malgré le flottement en matière de politique étrangère du Mali, l’Alliance des États du Sahel (AES) lui offre un socle qui lui confère encore un certain poids. Le Premier ministre du Niger, Ali Lamine Zeine, au cours d’une récente visite à Alger, où une forte délégation ministérielle l’accompagnait, a tenu un langage clair à ses hôtes. L’AES s’oppose à toute ingérence extérieure et à toute agression militaire contre le Mali. Paragraphe Niger s’affirme solidaire des combats du Mali et de son souci d’intégrité du territoire national. Le réchauffement qui s’amorce avec Alger est à ce prix. Le Mali devra peut-être s’y engager plus directement à discuter avec Alger dans la mesure où le Maroc commence à compter son soutien initial et sans nuances au colonel Goïta. La distance d’Ibrahim Boubacar Keita avec Alger lui a valu une popularité intérieure qui fut de courte durée. S’inscrire dans ses pas serait plus qu’un crime, une faute, comme disait le maitre des déséquilibres, Talleyrand.
Olivier Vallée