La création d’une force conjointe de l’AES il y a peu reflète l’insuffisance des structures nationales pour lutter contre un ennemi hybride et mobile. Cependant chaque nation de l’ensemble AES connait des trajectoires militaires spécifiques et se trouve engagée dans des coopérations extérieures qui n’ont pas la même intensité. Des trois armées, celle de Bamako partage depuis 1961 une collaboration militaire intense en termes de fournitures et de formation avec l’URSS. Moussa Traoré plus orienté vers l’Occident ne fera rien pour moderniser les forces de défense qui vont conserver les modes et les matériels de combat hérités du pari de Modibo Keita.

De la paix à la guerre civile
Avec les attaques d’une coalition de groupes armés dissidents au nord du pays en 2012 et des dissensions internes l’armée a subi un choc. Elle en est ressortie en partie débarrassée de son héritage de nombre d’opérations de maintien de la paix en Afrique et dans le reste du monde :
- Congo, Zaïre, puis République démocratique du Congo (1960-1964 et depuis 1990 au compte de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo),
- Libéria en 1990,
- Sierra Leone en 1997,
- Angola(1993 -1998),
- Haïti (2004), etc.
La France avec le projet RECAMP a voulu faire des soldats maliens des champions de la paix et de la démocratie en faisant semblant d’ignorer les nombreuses menaces endogènes et exogènes pesant sur le pays. Le résultat a été l’incapacité des FAMA à défendre et la paix et la démocratie. Son véritable défi que ni l’UE ni l’OTAN ne l’ont aidé à relever était de devenir une force capable de se battre sur plusieurs fronts et avec des ennemis aux tactiques diverses.
Aujourd’hui on trouve des inflexions très nettes de l’armée malienne qui se trouve aux premiers rangs pour la conservation de l’unité et de l’intégrité de la nation. L’armée malienne ou les Forces Armées du Mali ont connu une nette transformation organisationnelle et matérielle de 2021 à 2024 sous l’impulsion de son chef d’État-major Oumar Diarra. L’équipement en drones, en avions, chars et véhicules de transport a été fourni par la Chine, la Russie, la Turquie et les Émirats Arabes Unis. Les dépenses militaires annuelles qui incluent la direction générale de la gendarmerie nationale (DGDN), l’armé de l’air et la garde nationale du Mali (GNM) s’élèvent à 600 millions US $. Certaines estimations parlent d’un effectif de 55 000 hommes. On peut penser qu’il se ventile en 35 000 hommes pour les FAMA et la DGGN dont une partie seulement est opérationnelle et 10 000 hommes pour la GNM. Cela correspond à une force de frappe lors de batailles semi-conventionnelles qui s’avère dissuasive, d’autant plus avec l’appui de l’Africa Corps. Ce que ni la MINUSMA ni les forces françaises et européennes n’avaient pu faire, les FAMA sont parvenues à l’accomplir en partie. Cependant le combat n’est pas gagné tant les adversaires sont enracinés dans l’économie illicite et jouent sur des répertoires idéologiques combinés et successifs.
A qui s’opposent les FAMA ?
On peut citer, comme adversaires des unités de combat maliennes, Ansar al-Din composée majoritairement de Touaregs de Kidal, la (Katiba Macina où l’on trouve surtout des Rimaybe, un sous-groupe Peul de caste subordonnée, ), Al Mourabitoun, plus composite dans l’origine de ses membres venus du Mouvement pour le Djihâd en Afrique de l’Ouest (MUJAO), mais où Bella (des anciens esclaves des Touaregs, Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) avec de nombreux Peuls et Touaregs, le JNIM pour sa part est devenu une puissance économique avec l’imposition de taxes, le vol de bétail et les trafics de la drogue aux personnes en passant par les cigarettes et où s’activent des Arabes du Tilemsi et de Gao. Le chercheur Alain Antil fait remonter aux années 2010 l’affirmation de ces activistes dans le trafic de cocaïne : « Il semble que l’économie de la cocaïne au Nord du Mali était principalement aux mains des Lamhar (ou Arabes du Tilemsi), et les Imghad. Grâce à l’argent de la drogue, ces communautés ont pu acheter des armes et renforcer des milices dirigées.
Le système de défense et le dispositif de combat malien doit donc faire face à une violence structurelle ancienne et s’exerçant sur plusieurs registres. Il s’avère donc plus exposé que ses partenaires de l’AES à des ennemis ayant engrangé des ressources financières, déployé à travers des réseaux nationaux et internationaux et susceptibles de se joindre entre eux pour certains coups névralgiques comme il y a peu à l’aéroport de Bamako.
La doctrine islamique des groupes armés sur le terrain malien est plastique. Après l’instauration de l’émirat islamique de l’Azawad en 2012-2013 et son impasse , le JNIM opte pour une plus grande insertion dans le milieu local avec un respect de façade pour les chefs traditionnels. Cela a permis des implantations à Nampala, Ségou, et dans des villages proches de Mopti. Cela se nomme la stratégie graduelle du Djihad. Avec un certain ménagement d’Israel et des Etats-Unis dans les déclaration publiques. Le plus notable de ces acteurs soucieux de mêler à la terreur un peu de couleur locale reste Iyad Ag Ghaly, à la fois se réclamant des Touaregs et d’Al Quaïda. Le rôle de fédérateur et d’idéologue d’Ag Ghaly est ancien en plaidant pour une structure faitière comme le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM). Il y a subordonné Ansar Dine et le Front de Libération du Macina, Al Mourabitoun et AQMI.
Le durcissement de la guerre ?
La fragmentation des théâtres d’opérations, la guerre hybride et les associations conjoncturelles des groupes armés non étatiques demandaient à l’armée nationale de renouveler ses méthodes et ses vecteurs. Cela passait par un renforcement aérien permis avec l’acquisition de dizaines d’avions de chasse, d’hélicoptères, d’avions de transport, de radars et autres drones (notamment fournis par les Russes). Comme ses pairs de l’AES, Bamako a choisi les drone Bayraktar de type TB2
d’élites.
Mais il ne faut pas passer sous silence le discret mais efficace soutien chinois. Avec ses sociétés militaires privées Pékin peut assurer la propre sécurité de ses intérêts économiques et de ses ressortissants. Les informations satellitaires sont partagées avec le Mali et une partie du matériel logistique est remis aux FAMA. Ses compagnies de sécurité privée chinoises au Mali avec l’AES pourront plus facilement intervenir auprès de leurs homologues affectés aux installations pétrolières de la coopération entre le Niger et la Chine. L’Intelligence Artificielle sera déterminante de plus en plus dans la conduite de la guerre. Les capacités de la Chine dans cette technologie est au menu des échanges entre le Mali et Pékin.
La Russie à travers la combinaison de Wagner et de l’Africa Corps détient les fils d’une coordination militaire sur les fronts des trois pays de l’AES. L’Africa Corps a pris le relais de Wagner en conservant une partie de ses hommes, en tolérant la poursuite des activités économiques antérieures et en transformant son capital d’expériences dans les opérations. L’Africa Corps s’efforce de ne pas répéter les exactions contre les civils de Wagner et rende compte directement à Moscou de l’évolution de la situation.
Cependant les troupes maliennes et leurs partenaires du Niger et du Faso savent qu’il ne faut escompter la montée en puissance de l’Africa Corps. La guerre en Ukraine mobilise les forces de l’ex Wagner. Et la protection des bases aériennes stratégiques en Libye garde la priorité de l’affectation des experts et des combattants aguerris de l’Africa Corps. Après des succès remportés auprès d’Haftar quelques centaines d’hommes de l’Africa Corps ont gagné la partie nord du Niger mais on ne signale pas de déploiement au Mali. On compte une centaine d’hommes de cette société militaire au Burkina mais ils ne semblent pas se battre au côté de l’armée du Faso. Ils seraient plutôt affectés à la mine d’or de Nordgold détenue par le puissant oligarque Alexey Mordashov.
L’Africa Corps malgré le tapage fait autour de sa présence ne dispose pas dans l’AES d’une capacité décisive. Il peut partager des informations et des renseignements que les services russes parviennent à collecter. Mais il a cessé après la prise de Kidal de compter comme un soutien efficace des FAMA. Sa seule présence dissuade d’autres forces étrangères de vouloir s’implanter.
La Russie doit jouer la carte du fournisseur décisif d’équipements militaires avec une chaine logistique assez bien établie à partir de Conakry et de la Libye. Le Monde signale ainsi le 24 janvier 2025 que la Russie livre des dizaines de chars et de blindés au Mali et réorganise son dispositif militaire en Afrique[1]. Des hélicoptères Mil de combat et de transport de troupe, ainsi que des avions de chasse Sukhoï ou L-39, avaient déjà été livrés aux autorités maliennes début 2023, mais pas autant de véhicules militaires. Les FAMA vont disposer de plus d’une centaine d’engins, dont des blindés de combat BMP-3, des blindés de transport de troupes BTR-82 ou encore des blindés sanitaires « Linza ».
Il est fort probable qu’une bonne partie de ce matériel n’a pas été exhibée lors du défilé de la fête de l’Armée ;
Olivier Vallée
[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2025/01/24/au-mali-la-russie-procede-a-une-importante-livraison-de-blindes-et-reorganise-son-dispositif-militaire_6514120_3210.html