Journal Le Sphinx

Notre axiome, c'est la vérité, le plus haut phare de la déontologie journalistique

TERRORISME

Attaques contre l’AES : signes d’un déficit stratégique ?

L’anniversaire récent de la confédération de l’AES a ravivé les pronostics négatifs sur sa situation et ses perspectives économiques. Pourtant le Niger et le Mali montrent des résultats dans ce domaine qui sont loin d’être aussi mauvais que ne le prédisaient les Cassandre, en particulier français. Ainsi, le Mali a adopté le mercredi 18 septembre 2024, en Conseil des ministres, le projet de Loi de finances pour l’exercice 2025. Il prévoit une hausse de 10,93 % des recettes par rapport à l’année précédente à 2648,9 milliards FCFA (4,5 milliards $) contre une progression de 5,18 % des dépenses à 3229,8 milliards FCFA (environ 5,5 milliards $). Pour rappel, la croissance économique du Mali devrait s’établir à 4,7 % en 2024 et 5,3 % en 2025, selon les estimations de la Banque africaine de développement (BAD). Elle est notamment portée par l’exploitation de l’or, le démarrage prochain de la production de lithium et la relance du secteur textile.

Les déséquilibres dont souffre l’AES, et le Mali en particulier, ne sont pas de nature financière. Il s’agit, et c’est pire, d’un déficit de stratégie militaire et d’une géopolitique sans boussole.

La guerre rattrape la criminalité IBK

Les menaces sur le Mali et l’AES en globalité sont vitales comme les terribles attaques enregistrées à Bamako.  Celles-ci ont bousculé une fois de plus le calendrier judiciaire du scandale de l’avion présidentiel et des équipements militaires de l’ère IBK. Un détournement massif de fonds publics pour un marché de 198 millions d’euros que le Sphinx a scrupuleusement décortiqué et rappelé depuis des années.

Est-ce le hasard, l’attaque du Jama’at Nusrat al Islam wa al Muslimeen (JNIM) a frappé le site où auraient été gardés certains des prévenus les plus notables. Après avoir pris le poste de police gardant l’aéroport civil Modibo Keita Senou, le groupe armé du JNIM a de plus endommagé l’avion présidentiel incriminé.

Les incertitudes sur la garde des périmètres prioritaires

Ces drames en pertes de vies humaines soulèvent quelques questions spécifiques. L’école de gendarmerie servait donc également de lieu de détention ? S’agissait-il d’un centre destiné à la gendarmerie ou à la police militaire ? Quelles sont les types de sécurité et  les chaines de commandement pour protéger l’aéroport, la base 101 et le site civil de Senou ?

On peut noter que les attaquants ont choisi la géographie et la temporalité de leurs opérations dans la région de Bamako. Les deux cibles se trouvaient à 10 kilomètres l’une de l’autre et étaient des points nodaux sécuritaires et militaires. De plus ces véritables défis n’étaient pas une surprise totale. Depuis 2023, le JNIM passe par la frontière de la Guinée pour agresser le Mali. Le JNIM dispose chez le voisin guinéen d’une base et de supports. Il détruit les lignes de communication de l’armée malienne qui ont été attaquées à cinq reprises depuis mars 2024. Le 7 et le 20 mars, les FAMA ont abandonné leurs positions sur la route qui mène à la Guinée, laissant armes et véhicules à leurs assaillants.

Le JNIM est en train d’articuler un encerclement de la capitale malienne sans que ne dessine la contre-attaque sur un des pans de cet étranglement. Il est vrai que des négociations sporadiques se poursuivent avec le JNIM. Mais est-ce contradictoire avec une stratégie de prévention de destructions de l’appareil militaire gouvernemental et du moral de la population ?

Le blocus de la capitale ?

En effet, on assiste à une évolution notable de la stratégie du JNIM. Elle réduit peu à peu la présence des FAMA sur le terrain et discrédite la légitimité du pouvoir en détruisant postes de police et positions militaires. La mobilité des troupes du gouvernement vers la frontière guinéenne est à présent réduite et le risque d’un blocus n’est plus à écarter. Jama’at Nusrat al-Islam wal Muslimeen (JNIM) n’est sans doute qu’un conglomérat de Katibas et de recrues mais il va réussir la convergence avec Al-Qaida. Les deux nébuleuses se coordonnent de mieux en mieux et vont parvenir à une continuité territoriale autour de la capitale. L’infiltration de la ville de Bamako se poursuit. Et pourtant beaucoup continuent à distinguer (en particulier les chercheurs occidentaux) entre AQMI et le JNIM qui seraient compatibles et un État Islamique, infréquentable.

Les avertissements avant la toute dernière offensive urbaine du JNIM n’ont pas manqué. Le camp de Kati, la place forte de l’armée malienne, où réside Assimi Goïta, a été ébranlé par des véhicules suicides et des tirs de mortier. Le JNIM était déjà là et, en janvier 2023, des hommes armés ont attaqué en même temps les positions de Kassela et de Markacoungo.

Coordination globale des groupes armés ?

L’État Islamique au Grand Sahara et le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (JNIM) semblent répondre sur le champ de bataille à la réunion inaugurale (16 septembre 2024) des Ministres de l’Alliance des États du Sahel à Bamako sur le thème «Coopération et enjeux sécuritaires». Peut-être qu’avant de penser la coopération, il serait nécessaire que la jeune confédération se dote d’une stratégie qui détermine ses ennemis principaux, ses potentiels alliés et les moyens de refondre leur appareil sécuritaire et militaire sur une autre base que le legs du système IBK dont le bilan désastreux mérite encore d’être établi, en particulier pour ce qui est de la destruction d’une capacité à mener un combat politique et militaire contre les groupes armés coalisés dans l’exercice de la terreur. Cette mouvance attaque sur les points cardinaux au Niger et semble à présent viser carrément Bamako.

Quelques jours après les sanglants événements, au Niger, dimanche, trois attaques séparées causent la mort d’au moins douze militaires. Dans la région de Tillabéri, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale Niamey, cinq soldats ont été tués et vingt-cinq autres blessés. Lundi, dans la région de Diffa, en proie aux attaques de Boko Haram et de la branche « Afrique de l’Ouest » du groupe État islamique, une patrouille « a été victime d’un incident lié à un engin explosif improvisé qui a occasionné la mort de cinq soldats». Mardi, dans la région d’Agadez, dans l’extrême nord du pays, une autre attaque a visé un « camp militaire et le poste de gendarmerie de Chirfa ». Deux militaires sont morts et six autres blessés.

Le scénario catastrophe

La manœuvre des ennemis du pouvoir de Bamako a été assez largement décrite. Olivier Walther de l’université de Floride, dès juillet 2022, n’excluait pas que Bamako puisse arrêter et freiner la circulation sur les six routes qui l’alimentent. Olivier Walther faisait  ainsi la comparaison avec Maiduguri qui en 2020 se trouvait entourée par Boko Haram et souvent infiltrée avec des coups d’éclat contre la police et l’armée dans la ville même.

Les limites que le chercheur pose à un scenario de conquête de Bamako tiennent à deux facteurs. Bamako serait sans doute ingouvernable pour le JNIM et qu’y faire, si Kidal, Tombouctou, Gao et Kidal ne sont pas sous son contrôle. Mais il est toujours hasardeux de spéculer sur la rationalité de mouvements armés engagés dans un rapport asymétrique avec l’État et des forces armées conventionnelles. Malgré sa supposée expertise, l’opération Barkhane, voisinait à Gao, avec les groupes armés qu’elle combattait. Sans doute a-t-elle compris trop tard que la lutte contre ce type d’adversaire passe par le ralliement de la population à la quantité et à la qualité de services que le budget de l’État peut offrir.

Olivier Vallée

Laisser un commentaire