Composition du 1er gouvernement du Soudan Français: Parcours des membres du gouvernement du Français Henry Gipoulon
Le début de la dernière décade de mai 1957 a été déterminant dans l’évolution institutionnelle au Soudan-Français (l’actuel Mali) engagé, comme tant d’autres colonies françaises d’Afrique, dans la voie de la décolonisation. Du 21 au 24 mai de cette année-là, le premier Conseil de gouvernement du Soudan a été mis en place à travers un processus tout particulier, conformément aux dispositions de la Loi-cadre du 23 juin 1956 qui accordait une certaine autonomie aux territoires colonisés sous domination française. Ce gouvernement est investi par l’Assemblée territoriale le 21 mai. Le lendemain, la liste de sa composition est rendue publique et le 24 mai, sont signés les actes individuels de nomination : soit 12 arrêtés concernant nommément le vice-président et les 11 ministres sectoriels. (suite)
7 – Sominé Dolo, ministre de la Santé
Né en 1922 à Sangha (cercle de Bandiagara), il fréquente l’Ecole William Ponty de Gorée (1939-1942) puis l’Ecole de médecine de Dakar (1942-1946) avant d’obtenir un doctorat à la Faculté de médecine de Paris (1956). L’année suivante (31 mars), le docteur en Médecine est élu conseiller territorial (député, Bandiagara) sur la liste de l’Union Dogon lors des premières élections territoriales au Soudan-Français dans le cadre la Loi-cadre. Les 7 députés de cette Union s’ajoutent aux 57 de l’US-RDA qui devient ultra majoritaire face aux 6 élus du PSP. Cette majorité dominante permet au parti de Modibo Kéita de proposer 12 cadres pour constituer le tout premier Conseil de gouvernement de notre pays.
Le Dr. Sominé Dolo fut ainsi nommé ministre de la Santé. On retient qu’il fut le seul ministre soudanais qui est resté sans discontinuer au même poste pendant 11 onze années (mai 1957-novembre 1968). Sans pourtant exercer effectivement un mandat parlementaire, Sominé Dolo a été toujours réélu dans la circonscription de Bandiagara en novembre 1958 pour l’Assemblée législative provisoire de la République soudanaise puis en mars 1959 pour l’Assemblée législative de la République soudanaise qui deviendra l’Assemblée nationale de la République du Mali, le 22 septembre 1960. Après le coup d’État militaire du 19 novembre 1968, le Dr. Sominé Dolo est nommé directeur régional de la santé de Bamako, à l’époque 2e région administrative du Pays. Il y est décédé le 15 mars 1972 des suites d’une crise cardiaque. Pour l’immortaliser, les autorités du pays baptisent en son nom un Pavillon de l’Hôpital Gabriel Touré. Il en est de même pour l’Hôpital régional de Sévaré-Mopti. La 11e Promotion de l’École militaire interarmes (Emia) de Koulikoro, sortie en octobre 1983, porte également le nom de Sominé Dolo.
8 – Abdoulaye Singaré, ministre de la Fonction publique
Il est considéré dans le monde de l’école malienne comme le “père de la Réforme de 1962” qui visait “une décolonisation des esprits” se basant sur “une éducation de masse et de qualité”. Cette réforme (l’un des principaux acquis majeurs du Mali indépendant), il l’a menée au ministère de l’Éducation nationale qu’il a dirigé pendant 7 ans (16 avril 1959-15 septembre 1966). Auparavant, il siège dans le tout premier gouvernement du Soudan-Français au poste de ministre de la Fonction publique (22 mai 1957-16 avril 1959) en se voyant confier, le 30 septembre 1958) le secteur Travail suite au départ d’Abdoulaye Diallo (lire ci-dessous) dans son pays natal, la Guinée, qui venait de voter “Non” au référendum constitutionnel instaurant la Communauté franco-africaine initiée par le Général de Gaulle.
Né le 20 mars 1918 à Koulikoro, Abdoulaye Singaré a fréquenté l’EPS Terrasson de Fougères de Bamako (section administrative) de 1932 à 1936. Il devient ainsi commis expéditionnaire du cadre local de Soudan pendant dix ans (1936-1946). Il passera ensuite huit années (1946-1954) au poste de commis expéditionnaire du cadre secondaire des services administratifs, financiers et comptables. Secrétaire d’administration du cadre supérieur de l’AOF (1954-1958), il est promu administrateur civil (1958-1970) quand il avait déjà entamé sa carrière ministérielle. Au plan politique, il figure parmi les membres fondateurs du RDA en octobre 1946, à Bamako. Dissident du PSP de Fily Dabo Sissoko, il participe à la formation de l’US-RDA dont il est membre du bureau politique national, de 1947 à 1955. Pendant cette période, il exerce des mandats électifs : Conseiller général du Soudan (1952), Conseiller municipal de Bamako (1956), Député à l’Assemblée législative du Soudan (1956) et Conseiller de la ville de Koulikoro (1958).
Au plan syndical, dès la fin des années 1930, il fut le secrétaire général adjoint puis secrétaire général du Syndicat des commis expéditionnaires et des interprètes du Soudan (1945-1950). Par la suite, il fut secrétaire général du Syndicat unique du personnel de l’administration générale (1950-1952), membre du Comité directeur de l’Union des syndicats du Soudan (1946-1952) et membre du Conseil général de la Fédération syndicale mondiale (1952-1956). Auparavant, dès octobre 1949, il fut le 1er Rédacteur en chef de L’Essor, l’organe de l’US-RDA. Après la chute du président Modibo Kéita, Abdoulaye Singaré se retire de la scène politique et cela ne lui épargnera pas d’être arrêté deux fois par les militaires au pouvoir : une première fois, ils l’ont suspecté d’être l’inspirateur d’un article paru dans Jeune Afrique et une seconde fois quand ils ont retrouvé sur lui un tract critiquant le parti unique UDPM en gestation. Resté très lié au chef de l’Etat ivoirien, l’ancien ministre Singaré fut membre du Comité de coordination de la Fondation Président Félix Houphouët-Boigny. De la fin des années 1970 à la fin des années 1980, il devient assureur et représentant commercial de Jeune Afrique à Bamako. Il est décédé le 19 octobre 2004 à Bamako.
9 – Mamadou Aw, Ministre des Travaux publics et des Télécommunications
De la formation du tout premier gouvernement du pays en mai 1957 à septembre 1969, il fut ministre dans différentes équipes gouvernementales en occupant quasiment le même poste en charge des Travaux publics (TP). Né le 15 décembre 1924 à Ségou, il fréquente l’Ecole William Ponty avant de décrocher un diplôme d’ingénieur des TP en France. Au sein de l’AOF, il fonda en 1945 le Syndicat des cadres secondaires des TP. Chef de plusieurs services techniques des TP à Dakar et à Bamako, il fut associé à la réalisation de nombreux ouvrages (ponts et chaussées) au Soudan et au Mali indépendant. Il fut pendant longtemps le ministre des TP du Soudan (20 mai 1957-4 avril 1959). Il occupe le même poste dans le gouvernement de la Fédération du Mali dont le Conseil était présidé par Modibo Kéïta (4 avril 1959-20 août 1960). Une semaine après la proclamation de la République du Mali le 22 septembre 1960, le ministre Mamadou Aw conduit la délégation malienne à l’Assemblée générale des Nations unies qui admet, le 28 septembre, le dossier d’adhésion du Mali à l’ONU. Le 25 janvier 1961, il retrouve le fauteuil de ministre des TP jusqu’au coup d’État du 19 novembre 1968. Mais il est maintenu à son poste par les militaires qui ont renversé le président Modibo Kéita en mettant fin à la 1re République du Mali. Mamadou Aw va quitter enfin le gouvernement le 19 septembre 1969. Après ses charges ministérielles, Mamadou Aw a été le premier Haut-commissaire de l’Organisation pour la mise en valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) de 1975 à 1979. Par la suite, il crée un cabinet d’ingénierie qui a été notamment chargé des travaux de réhabilitation du Palais de Koulouba dans la seconde moitié des années 1980. Mamadou Aw est ensuite associé au processus de restructuration de la Compagnie nationale Air-Mali, devenue, au début des années 1990, Mali Transports Air Services (Malitas) dont M. Aw sera désigné PCA.
Auparavant, quand il était déjà ministre, Mamadou Aw avait été président de la Fédération malienne de football (1968-1971), le 2e de l’histoire de cette association après la présidence de Tiécoura Konaté (1960-1968). La décennie écoulée, M. Aw s’installe dans le privé, définitivement basé à Paris où il s’éteint le 20 juillet 2012.
10 – Abdoulaye Diallo : ministre du Travail et des Affaires sociales
Abdoulaye Diallo fut ministre du Travail et des Affaires sociales, du 24 mai 1957 au 30 septembre 1958. Il quitte son poste et le pays suite au vote favorable du Soudan-Français au référendum constitutionnel du 28 septembre 1958. Le “Oui” massif des Soudanais oblige le Guinéen Abdoulaye Diallo qui prônait le “Non” à rejoindre son pays d’origine. Là, sous la férule du leader Sékou Touré, la Guinée a spectaculairement voté contre le texte proposé par le Général De Gaulle afin de constituer la Communauté française regroupant la France et ses ex-colonies africaines. Diallo rejoint Sékou Touré pour faire marcher la Guinée indépendante. Il y occupe dans le 1er gouvernement le poste de ministre secrétaire d’Etat chargé des Postes et Télécommunications. Il devient ensuite ministre du Développement rural et de l’Artisanat ; puis ministre du Travail. Par la suite, il est promu Délégué à la Présidence de la République de Guinée, chargé de la Coopération technique internationale, ambassadeur Itinérant de la République de Guinée.
Né en novembre 1916 à Konsondougou (Dabola, Guinée), il fut un très grand syndicaliste et une figure de proue de la lutte de libération nationale. Durant la période allant de la moitié des années 1940 à la fin de celles 1950, il avait fait ses preuves comme le premier secrétaire général de l’Union régionale des syndicats du Soudan (URSS) où il était commis de la Poste de Bamako. Il est ainsi présenté par Pierre Campmas dans son ouvrage sur l’US-RDA : “Abdoulaye Diallo, Guinéen, mais travaillant depuis longtemps au Soudan, fut désigné comme ministre du Travail [à l’instar d’Abdoulaye Singaré et de Hamaciré N’Douré…] en raison de leurs activités politiques passées. Ses activités syndicales au Soudan (où il était secrétaire général de la section locale de l’Union Syndicale de la Confédération générale du travail, URSS-CGT), en Afrique (où il était secrétaire général de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire – UGTAN depuis janvier 1957 à Cotonou) et dans le monde où il était vice-président de la Fédération syndicale mondiale (FSM) dont le siège était à Prague, lui avaient conféré une dimension africaine et internationale. D’apparence froide, Abdoulaye Diallo pouvait s’enflammer à l’occasion et devenir un remarquable orateur […]”.
Selon le doyen Sory Macalou (des BTP) cité par le syndicaliste écrivain Hamed Sidibé dans un ouvrage sur l’histoire du syndicalisme de notre pays, le leader Abdoulaye Diallo “grand par la taille [était] éloquent, syndicaliste hors pair. Il a dirigé la plus grande centrale du pays dans un anticolonialisme inflexible. Cela lui a valu des procès et finalement le licenciement. Devenu ministre du Travail en 1957, il est resté fidèle aux mots d’ordre de l’UGTAN qui a prôné le «Non» au Référendum gaulliste. Adversaire acharné de Sékou Touré dans le mouvement syndical africain, il n’hésita pas cependant à retourner en Guinée avec l’indépendance de ce pays […]”, proclamée le 2 octobre 1958. Auparavant, fin août 1957, quelques mois après l’entrée en application de la Loi-cadre, la centrale URSS change d’appellation et le ministre Abdoulaye Diallo est, cumulativement, élu secrétaire général de la nouvelle Union territoriale des travailleurs du Soudan (UTS). En février 1958, l’UTS devient l’Union territoriale des syndicats du Soudan (UTSS, ancêtre de l’actuelle UNTM). Le 28 septembre suivant, le “Oui” est voté par les Soudanais au référendum constitutionnel. Deux jours plus tard, Abdoulaye Diallo (favorable au “Non”) démissionne du gouvernement et retourne dans son pays natal où il se voit nommer, le 2 octobre, dans le 1er gouvernement de la Guinée de Sékou Touré auréolé de la victoire de son “Non”.
En Guinée, on l’avait surnommé Abdoulaye Ghana Diallo en raison du rôle qu’il a joué dans les relations entre les leaders guinéen Sékou Touré et ghanéen Kwame Nkrumah. Il fut notamment ministre-résident de Guinée au Ghana. Il fut ensuite ambassadeur de République de Guinée auprès des gouvernements algérien, tunisien, chérifien du Maroc, égyptien et libyen. Puis ambassadeur itinérant de son pays.
De ce parcours, il est distingué “Citoyen d’honneur” de plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe. Outre ces fonctions ministérielles et diplomatiques, Abdoulaye Diallo fut membre fondateur de plusieurs mouvements et organisations à vocation internationale, notamment les Non-Alignés (Conférence de Bandoeng) ; l’Union Guinée-Ghana ; l’Union Guinée-Ghana-Mali ainsi que l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’actuelle l’UA).
Après des décennies de pleines activités syndicales, politiques et diplomatiques, il se retire de la scène au début des années 1980 après le décès du président Sékou Touré le 26 mars 1984. A l’avènement du pluralisme politique en 1990, il décline l’offre de ses compatriotes qui l’avaient sollicité pour lui proposer de jouer un rôle dirigeant de leurs partis. Il a préféré rester sympathisant de l’UFD (Union des forces démocratiques de la Guinée).
Depuis le 10 septembre 1998, il repose au cimetière du quartier Cameroun dans la Commune de Dixinn à Conakry.
11 – Dr Henri Corenthin, ministre de l’Élevage :
Né le 24 janvier 1924 à Port-Louis (Guadeloupe), il fut un docteur en médecine diplômé de la Faculté de Montpellier (France), fait partie de ces Caribéens qui se sont investis auprès des nouveaux États indépendants en Afrique dans les années 1960-1970. Henri Corenthin arrive en 1955 au Soudan-Français (actuel Mali) dans le cadre de la coopération française. Il est nommé médecin-chef du cercle de Kita (Région de Kayes). Henri Corenthin s’engage aussi dans le syndicalisme et devient secrétaire général de l’Union des travailleurs de santé (UTS). Sur la scène politique, il adhère à l’US-RDA dont il fut l’un des commissaires à la jeunesse du bureau politique national mis en place lors du 5e congrès d’août 1958. Il est ensuite désigné, en décembre 1959 à Bamako, secrétaire politique (n°2) de l’Union de la jeunesse RDA, section de l’Union nationale de la jeunesse du Mali au sein du Parti de la fédération africaine (PFA).
Auparavant, en mai 1957, Henri Corenthin entre dans le premier gouvernement de la Loi-cadre comme ministre chargé de l’Élevage et des Industries animales. Poste qu’il occupe jusqu’en avril 1959 à la création de la Fédération du Mali. Dans le gouvernement de ce regroupement, le Soudanais Mamadou Aw est promu ministre des Travaux publics (TP). Son poste de ministre des TP, des Transports et des Télécommunications dans le gouvernement soudanais est désormais confié à Henri Corentin. Celui-ci conserve ce poste (certes délesté des TP revenus à Mamadou Aw, le 25 janvier 1961) jusqu’au 17 septembre 1962. Quelques mois auparavant, il fait partie de la délégation malienne dépêchée à Paris dans le cadre des négociations sur la coopération franco-malienne. La même année 1962, le congrès de l’US-RDA dissout le bureau de la Jeunesse dont était membre le médecin guadeloupéen qui avait pourtant acquis la reconnaissance de “la nationalité malienne pleine et entière” à lui accordée par un décret présidentiel (n°94/PG-RM) du 11 mars 1961. Par la suite, son engagement et à sa conviction pour la cause du Mali irritent l’Etat français et particulièrement (le tout-puissant conseiller aux affaires africaines de l’Elysée). Paris qualifie le Guadeloupéen de “révolutionnaire excité” et décide ainsi de lui retirer sa nationalité française.
Tombé en disgrâce politique, le Dr. Henri Corenthin est nommé directeur de l’Ecole des sages-femmes jusqu’au coup d’État militaire du 19 novembre 1968. Il apprend le renversement du président Modibo Kéita à partir du Mexique où il était en mission. De retour au Mali, le nouveau pouvoir lui propose de faire partie du gouvernement. Après moult négociations, le Dr. Corenthin finit par accepter et redevient, du 22 novembre 1968 au 19 septembre 1969, ministre des TP, des Transports et des Télécommunications (perdues à moins d’une semaine au profit du Tourisme dès fin novembre 68). Il quitte le Mali en 1972 après s’être aussi illustré sur le terrain sportif. Il fut ainsi président fondateur de l’US Kita (1951) et du Club olympique de Bamako (COB en 1960) issu de la fusion de l’Union des sportifs d’indigènes et de l’Aigle noir de Bamako-Coura. Président de la Ligue de football de Bamako et membre du bureau de la Fédération malienne de football, Henri Corenthin fut aussi président de la Fédération d’athlétisme du Mali (1960-1969). Et il contribua à la création du Comité olympique du Mali (l’ancêtre de l’actuel Cnosm) qu’il dirige de 1962 à 1967.
Cinq années plus tard, il quitte donc le Mali et retourne à Paris pour des études de spécialisation en néphrologie. Ayant recouvré entre-temps la nationalité française, le Dr. Henri Corenthin retourne définitivement dans sa Guadeloupe natale. Il y participe à la création des premières cliniques privées de l’île. Au plan politique local, il est un membre fondateur de l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe (UPLG), un parti politique qui milite pour l’indépendance de la Guadeloupe. En 1992, il se présente aux élections régionales sur la liste Alternative Gran Koudmen, un mouvement indépendantiste qui participe pour la première fois aux élections et obtient 5,49 % de suffrages et deux sièges au Conseil régional. A la fin de son mandat, il se retire de la vie politique.
En 2009, Henri Corenthin soutient activement le LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon), le collectif à l’origine du mouvement social qui avait mobilisé les Guadeloupéens durant 44 jours contre la cherté de la vie. Ces dernières années, Henri Corenthin suivait assidûment l’actualité africaine et particulièrement la crise malienne. Dans son pays natal, Henri Corenthin est décédé le 17 avril 2016.